Après avoir tenu un restaurant bio dans le quartier de la Krutenau à Strasbourg pendant plusieurs années, Raphaël s’est lancé dans l’aventure food truck pour proposer une carte 100% végétale « L’essentiel chez Raphaël« . J’ai voulu en savoir plus sur le parcours de ce passionné de cuisine qui rêve de transmettre son savoir-faire et faire découvrir la cuisine végétale au plus grand nombre.
Comment s’est passé le processus de création du food truck ? Et quels ont été les éléments déclencheurs ?
La création du food truck a été le fruit d’un cheminement un peu singulier. Tu en connais déjà le passé ? Le restaurant certifié bio à la Krutenau de 2011 à fin 2014 ? Il a été le théâtre d’incarnation d’un engagement très fort dans l’agriculture bio, en y organisant des rencontres de producteurs, des dégustations. Egalement en étant parmi les premiers restaurateurs de France à s’engager dans la certification en bio. La carte y était pour plus de la moitié de l’offre en végétalien ou végane, de manière à y proposer du choix dans cette ligne culinaire, déjà en 2011.
Pourquoi avoir décidé de d’ouvrir un food truck après avoir eu un restaurant ?
L’envie d’être en cuisine ouverte, en lien avec mes clients, de m’orienter vers une activité de restaurant/salon de thé avec un espace optionnel d’épicerie en vrac. Voilà le moteur de l’orientation choisie : vendre le fond de commerce rue du renard prêchant, chercher un autre local pour rebondir avec cette nouvelle vision. N’ayant finalement pas identifié de locaux à un emplacement correct, dans l’enveloppe budgétaire prévue et adapté au concept envisagé, monter un camion s’est révélé une solution très efficace pour aller à la rencontre du public, pour m’équiper de manière aisée avec un budget de départ moins engageant. C’est un outil de travail qui permet une grande agilité aussi pour participer à des événements variés et ajuster mon offre au contexte. Ce projet a mûri intérieurement pendant environ un an avant de passer à l’acte et m’équiper du véhicule, organiser et lancer l’activité. J’ai conservé une activité de traiteur, en rythme réduit, pendant ce laps de temps, de manière à garder contact avec mon public, mener des expériences et mettre au point des recettes. Désormais, je l’ai mon point de vente en cuisine (grande) ouverte, synonyme de transparence, de cuisine faite maison sincèrement et de lieu d’échange avec le public venu à notre rencontre. Car il n’est pas rare qu’un sujet en amenant un autre, le comptoir du camion soit l’endroit de discussion autour de l’alimentation-santé, d’écologie, de responsabilités, de monnaie locale, d’éthique, de consommation ou de « décroissance », de zéro-déchet… Des sujets toujours renouvelés au gré des actualités, mais en lesquels ma détermination à éveiller les consciences est constante. Et si je peux participer à la modernisation du mode de vente en food truck, ça sera aussi un grand plaisir : donner ses lettres de noblesse à l’expression d’un métier de « cuisine de rue » loin de la roulotte poisseuse, ou de la grillade indigeste produite dans des conditions douteuses. Je me revendique « restaurateur » : plat du jour, carte élaborée, cuisine d’auteur, spécialités variées (allant de l’assiette façon kebab « végétale », à la crème brûlée, les cheesecakes, les plats mijotés, les salades composées, snacking toastés, soupe, jus frais à l’extracteur, glaces maison ! le tout dans un camion, servi tous les jours). Mon parcours, mené avec une détermination sans compromis a été récemment distinguée « Lauréat RSE Grand Est 2018 entreprise engagée », c’est d’une certaine manière une reconnaissance du chemin parcouru et aussi une grande bouffée d’optimisme en espérant inspirer des confrères dans l’évolution de leurs pratiques.
Comment choisissez-vous les plats que vous proposez à la carte ?
Les spécialités à la carte sont toujours réalisées avec amour et peuvent être soit des recettes classiques ou des créations de la maison, ou une nuance entre les deux. Nous aimons inventer et donner de nouveaux noms aux plats, afin d’étonner, de participer au renouvellement de la gastronomie et de me démarquer aussi des goûts communs. Travailler avec les produits de saison, c’est mon guide premier. Des considérations d’équilibre alimentaire sont ensuite évidentes et jouent dans la conception du plat. Faire découvrir certains légumes sous une forme nouvelle (crue au lieu de cuite, ou associée à une épice pas banale…), et valoriser le travail des maraîchers de la région sont des fondamentaux. Des spécialités comme les boulettes, le buddha bowl, le tacos ou le croque (monsieur ?) sont des spécialités déclinables et renouvelées en permanence, et que le public identifie facilement, surtout s’il n’est pas coutumier du végétal.
En quoi est-ce important pour vous de proposer des produits faits maison, frais, locaux et de saison ?
Il est fondamental pour moi de proposer du frais et fait maison ! C’est ce que devrait exiger sans concessions chaque consommateur éclairé lorsqu’il sort manger à l’extérieur ! Pourquoi sortir et dîner d’un plat standardisé provenant d’un grossiste, servi réchauffé, ou d’une assiette délirante dans sa composition, à 100 lieues de toutes considérations de nourriture digeste, alimentation favorable au bien-être. J’ai bien la crainte que 99% des restaurateurs aient oublié, justement, le sens du mot « restaurateur »… Et il est naturel, depuis des années pour moi déjà, de proposer une assiette spontanément équilibrée, et, dans la simplicité de mode de préparation sans sophistication, laissé s’exprimer les ingrédients, dans un ensemble harmonieux. On retombe donc sur le « fait-maison », le « local », « de saison » comme des prérequis évidents.
Quel regard portez-vous sur l’évolution du veggie (végétarisme, véganisme…) de manière générale et à Strasbourg ?
Je porte un regard intéressé sur l’évolution des mentalités et de la demande en cuisine végétale. Le végétarisme semble devenir un peu confus parfois (entre ceux qui croient que le poisson ou le poulet y entre, et l’emploi du terme VEGGIE qui entretient une confusion notoire sur les choix qu’il est censé résumer) et les restaurateurs s’en servent sans trop de précautions, parfois avec des erreurs, au détriment du client exigeant (potage veggie au bouillon de volaille, plat végétarien aux crevettes…). Une tendance autour du végétal est à remarquer aussi. Elle n’est pas toujours synonyme de healthy, mais participe à l’augmentation de l’offre végétalienne, ce qui n’est pas une mauvaise chose dans le fond, hormis lorsqu’elle finance au final une industrie anti-écologique ou hors de toute éthique (knack végane d’Herta, produits simili protéinés ultra-transformés et emballés en plastique individuellement, glaces « véganes » de l’agroalimentaire ultra-industrielles et gavées de sucre et d’additifs… les exemples sont nombreux pour illustrer que la vague du « végane » peut être facilement assortie de la volonté de profit et n’est pas synonyme de produit « santé »). Je constate aussi que parmi les entrepreneurs, il y a des initiatives en émergence qui combinent bonnes pratiques (bio, frais, circuit court et végétal). Ça reste malgré tout très timide, le nombre d’enseignes en phase avec ces pratiques sont vraiment trop peu nombreuses en regard du nombre d’établissements de restauration/traiteur/snack dans l’agglomération. Appel aux volontaires : ouvrez des enseignes ! C’est pourquoi je souhaite participer à l’essor de cet artisanat où les acteurs semblent hésiter à se lancer ! Il y a des étapes qui peuvent sembler bloquantes pour un porteur de projet qui n’est pas du métier. Tout ce que je peux proposer comme facilitation, je le ferai. En premier, ça sera de monter un atelier de cuisine collaboratif, centré sur le végétal bio, où pourront venir cuisiner, expérimenter, produire, de manière flexible, régulièrement ou ponctuellement, des porteurs de projet, des entrepreneurs émergents. Ils trouveront du conseil, des services d’accompagnement type achats groupés, test client de première séries, assistance à la commercialisation…
Où voyez-vous L’essentiel chez Raphaël dans 10 ans ?
En projet ? Un retour aux premiers projets : l’ouverture d’un restaurant/salon de thé à la Krutenau proposant petite restauration, et plat du jour, une offre sucrée l’après-midi… et aussi lieu d’expérimentation et un peu vitrine de la cuisine végétale, où pourraient passer des cuisiniers « guest » ou des moments de cuisine à thème.